Rencontre avec Cate Blanchett, présidente du Jury des Longs Métrages

Cate Blanchett – Présidente du Jury des Longs Métrages © François Silvestre De Sacy /FDC

 

Doublement oscarisée, l’actrice Cate Blanchett a présidé le Jury des Longs Métrages de cette 71e édition. Artiste prodige au charisme fou, modèle d’élégance et d’intelligence, elle évolue à l’écran dans des univers très différents. En clôture du Festival de Cannes 2008 avec Harrison Ford pour Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, l’Australienne accompagne Alejandro Iñárritu sur les marches pour Babel en 2006, et Todd Haynes en 2015 avec Carol. Interview.

Présidente du Jury des Longs Métrages du Festival de Cannes, c’est important pour vous ? Quelle présidente êtes-vous ?

C’est un réel privilège. Pas seulement d’avoir la chance de découvrir un tel éventail de films, avec des perspectives aussi variées, mais aussi dans le dialogue avec les membres du Jury. Je n’en connaissais aucun personnellement, seulement Léa Seydoux, un peu. lls sont sincères et engagés, prennent leur rôle très à cœur, mais les fous rires ne manquent pas entre nous ! Ils connaissent l’importance de Cannes pour les réalisateurs. Le festival, c’est une certaine pulsation, un certain rythme.

Léa Seydoux a dit que vous preniez soin d’eux…

Oh vraiment ? C’est sympa ! Bob Dylan a eu cette phrase il y a longtemps : « Ne te prends pas au sérieux, mais prend le travail au sérieux ». Je leur ai dit en début de festival : « Nous ne sommes pas juges à un procès, mais les jurés d’un festival de cinéma. Nous sommes ici pour montrer respect, joie de vivre et curiosité ». Nous avons le souci de respecter chacun des réalisateurs, leur culture, leur genre ou leur âge, de faire attention à qui nous avons en face de nous. En fait, c’est comme une super salle de répétition : il y a une volonté de comprendre ce que les gens veulent dire ou tentent de nous dire !

À trois jours du Palmarès, commencez-vous à faire des choix?

Khadja (Khadja Nin, membre du Jury) dit depuis le début : « N’oublions pas que nous ne sommes pas dans le jugement, nous sommes là pour faire des choix ». La situation devient un peu douloureuse car nous allons devoir comparer des films d’horizons vraiment divers. L’art, c’est ça. Nous privilégions l’esprit de groupe dans nos décisions, et personne n’essaie de dominer l’autre, comme cela arrive souvent. Nous avons parlé des films en général jusqu'à maintenant, mais là, il est temps d’en parler spécifiquement.

J’ai dit à tout le monde : « Certains films infusent en vous, mettent du temps à s’infiltrer en profondeur, quand d’autres résonnent passionnément, dans l’instant, mais finissent par brûler et s’effacer… ». Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas méritants, mais que nous essayons de repérer ces films capables de maintenir la flamme au fond de nous, durablement.

C’est tout l’intérêt des codes et des règles du Festival, dont les gens n’ont pas forcément conscience : un film qui remporte la Palme d’or ne peut recevoir d'autres prix à Cannes. Donc si vous avez adoré une oeuvre, que vous trouvez un réalisateur vraiment intéressant, si vous récompensez cet aspect, vous ne pouvez pas donner d’autre prix. Je pense que les règles sont comme ça pour cette raison. Nous parlons de cinéma, et pas de football ! Chaque film a ses moments forts et mérite d’être dans la Compétition, et en ce sens ils ont déjà gagné un prix en étant en Sélection.
 

Nous ne sommes pas juges à un procès, mais les jurés d’un festival de cinéma. Nous sommes ici pour montrer respect, joie de vivre et curiosité.

Pouvez-vous évoquer votre première fois à Cannes ? Quelle a été votre sensation quand vous avez monté les marches pour voir The Ice Storm d’Ang Lee en 1997 ?

Je n’en croyais pas mes yeux. J’étais venue soutenir le film d’un ami au Marché du film, il cherchait des distributeurs. Cette fois-là, je n’ai fait que monter les marches ! L’écran, les vibrations du Grand Théâtre Lumière sont extraordinaires. Je disais à Pierre Lescure que le Festival a vraiment le chic pour magnifier l’événement, il sait créer une atmosphère vraiment spéciale autour d’un film.

Quels sont vos meilleurs souvenirs du Festival ?

À chaque festival son atmosphère, mais celle-ci est de loin ma plus belle expérience. Je peux voir les films, être au cœur de l’événement. Souvent, quand vous êtes là pour présenter un film, il y a tellement d’attente et d’inquiétude que vous vous placez dans une bulle. Même si le rôle de présidente demande beaucoup d’implication, c’est un tel plaisir de ralentir un peu, et de simplement regarder le travail des autres. Les films montrent des cultures très différentes, et pour autant on y trouve des sujets communs. D’un point de vue anthropologique, c’est très intéressant. Notre boulot consiste en quelque sorte à pointer les différences, mais en tant qu’artiste, je m’intéresse aux points communs entre toutes ces œuvres, que ce soit une connexion thématique, visuelle ou autre… Les réalisateurs prennent énormément de risques. J’applaudis ces risques.

Vous êtes connue pour travailler dur sur vos projets, qui nécessitent souvent une longue préparation, quel rôle vous a le plus coûté ?

Je pense qu’au fond, les spectateurs ne veulent pas vraiment savoir à quel point je travaille dur. Aux États-Unis il y a cette tendance à s’exprimer beaucoup là-dessus. Mais en fait, je m’intéresse seulement au résultat à l’écran. Je ne veux pas en savoir beaucoup plus.

Ceci dit, il y a eu des moments plus compliqués que d'autres. Par exemple, quand j’ai joué La Mouette de Tchekhov au théâtre, je venais de tomber amoureuse de mon mari. J’étais follement heureuse, et je jouais un personnage si profondément sombre que je me disais : cette femme est si désillusionnée, si malheureuse et de façon si existentielle, comment vais-je faire pour jouer la scène finale ? Et finalement le rôle reprend sa place !

Aussi et surtout, je suis mère de quatre enfants ! Artistiquement, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Parce que j’ai intérêt à être efficace dans mes préparations ! Ils s’en fichent mes enfants de savoir si c’est dur pour moi de travailler, si je suis au milieu d’une préparation de scène très compliquée, intellectuelle, émouvante ou autre. Je rentre je ferme la porte et c’est parti !